Chroniques

par laurent bergnach

récital Marie-Nicole Lemieux
Chausson – Fauré – Koechlin – Lekeu – Rachmaninov – etc.

1 CD Naïve (2014)
V 5355
Lemieux chante Chausson, Fauré, Koechlin, Lekeu, Rachmaninov et Wolf

« J’aime la poésie, j’aime les textes, confie Marie-Nicole Lemieux, […] cela me porte énormément, quelle que soit la langue. » Formé dans les conservatoires canadiens de son pays natal (Chicoutimi, Montréal), le contralto chante d’ailleurs, depuis une quinzaine d’années maintenant, dans des idiomes aussi variées que l’italien (Rossini, Puccini, Verdi, Vivaldi, etc.) [lire notre critique du CD et du DVD Orlando furioso], l’allemand (Bach, Mahler, Berg, etc.) et, bien sûr, le français (Debussy, Dukas, etc.). Ce récital discographique témoigne à nouveau d’un amour de l’éclectisme tout comme d’un attachement aux dernières années du XIXe siècle, sur les traces de L’heure exquise, album paru en 2005 [lire notre critique du CD].

Pièce française la plus ancienne au programme, Cinq mélodies « de Venise » est débutée par Gabriel Fauré (1845-1924) en Italie puis achevé à Paris, entre mai et septembre 1891. Le cycle complet est entendu pour la première fois à la Société Nationale de Musique, le 2 avril 1892, confié au ténor amateur Maurice Bagès – familier des salons dont Madame de Saint-Marceaux rapporterait un jour qu’il chantait « avec grâce et sans talent, comme toujours »… Tous les textes en sont de Paul Verlaine, extraits de Fêtes galantes et Ariettes oubliées. On apprécie une interprète très inspirée (À Clymène), tout en retenue (C’est l’extase), soucieuse de « souligner de Fauré ce côté incarnéde la sensualité », avec couleurs et subtilités.

Élève de Franck et d’Indy trop tôt disparu, Guillaume Lekeu (1870-1894) signe lui-même les textes de Trois poèmes, créé à Bruxelles le 7 mars 1893. Le succès est tel que le dernier, Nocturne, fait l’objet d’une version avec quatuor, ici sous l’archet suave des Psophos – c’est un effectif identique que l’on retrouve dans Chanson perpétuelle Op.37 d’Ernest Chausson (1855-1899), d’abord dévoilé sous sa forme orchestrale, le 28 janvier 1899, et qui vient clore ce récital. Sur une tombe permet de goûter un chant élégant et délicat, discrètement mélancolique et sans affectation, tandis que Ronde séduit par les ciselures pianistiques de Roger Vignoles.

Que Lemieux s’intéresse à Charles Koechlin (1867-1950) n’est pas surprenant puisqu’elle participa jadis à un concert entièrement consacré au passionné de Kipling [lire notre chronique du 17 novembre 2006]. Elle livre Si tu le veux et Menuet (textes de Fernand Gregh et Maurice de Marsan), extraits de Cinq mélodies Op.5 (1894), ainsi que La pêche, L’hiver et La lune, trois des Sept rondels Op.8 (textes du parnassien Théodore de Banville). Rétif aux banalités sentimentales et à l’hégémonie wagnérienne, Koechlin vante le mérite de ces derniers – tantôt bancroches, tantôt enlevés – à « rester naturellement familiers, exempts d’emphase et surtout libérés du pessimisme tristanesque ».

En ce qui concerne la poésie non francophone, le contralto propose quatre des Six romances Op.4 de Sergueï Rachmaninov (1873-1943) dont certaines portent l’influence de Tchaïkovski, et Островок, extrait de Douze romances Op.14. La langue russe lui va bien, même si l’interprétation frôle parfois la parodie (souffle ronflant, typique des divas de l’Est). On en retiendra le lyrique Не пой, красавица (Ma belle, ne chante pas devant moi), scène d’opéra en miniature. S’y ajoutent quatre pages de l’Italienisches Liederbuch, cycle inspiré à Hugo Wolf (1860-1903) par un recueil de textes anonymes populaires, dans lesquels l’expressivité du chant et du piano se marient (Du denkst mir einem Fädchen) et brille un art de la concision à l’opposé de Brahms – autre compositeur au répertoire de la chanteuse [lire notre critique du CD].

LB